mercredi 14 janvier 2009

Hormone de croissance - Les médecins à l’heure du jugement


Le tribunal correctionnel de Paris rendra son jugement cet après-midi dans cette douloureuse tragédie sanitaire. Contaminées par la maladie de Creutzfeldt-Jakob, 116 personnes sont aujourd’hui décédées. Des peines assorties de sursis avaient été réclamées.
C’est l’aboutissement d’une procédure longue de dix-sept années, menée au forceps par la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, d’un procès-fleuve de quinze semaines au printemps dernier devant le tribunal correctionnel de Paris et d’un délibéré de sept mois et demi. L’issue, aussi, d’un lourd combat livré par deux cent cinquante familles, constituées parties civiles, contre les autorités médicales et administratives françaises. Depuis l’ouverture de l’information judiciaire, en décembre 1991, les décès se sont succédé, jusqu’à atteindre le chiffre de 116. Toutes les – jeunes – victimes ont succombé à la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), contaminées, entre 1983 et 1985, par le prion lors d’un traitement par l’hormone de croissance destiné à soigner une certaine forme de nanisme. Des hormones fabriquées par l’Institut Pasteur à partir d’hypophyses humaines, prélevées sur des cadavres en France, en Bulgarie et en Hongrie par l’association France-Hypophyse, en situation de monopole, avant d’être redistribuées par la Pharmacie centrale des hôpitaux.


C’est également l’heure du jugement pour six personnes – médecins ou scientifiques – qui doivent répondre d’homicides involontaires et, pour la plupart, de « tromperie aggravée ». Le septième prévenu, le Pr Jean-Claude Job, est décédé pendant le délibéré, en octobre dernier. Agé de 86 ans, présenté par l’accusation comme étant le principal responsable de la catastrophe, l’endocrinologue était le président de France-Hypophyse. Lors des débats, il avait contesté avoir poussé ses patients à accepter un traitement susceptible de provoquer la MCJ. Quatre ans de prison avec sursis avaient été requis contre lui.
L’instruction de la juge Bertella-Geffroy puis les audiences devant le tribunal l’ont démontré : les collectes des précieuses glandes hypophysaires étaient effectuées hors de tout contrôle médical. Les extractions – l’hypophyse est située à la base du cerveau – réalisées dans des conditions d’hygiène particulièrement déplorables, même en France. « Seule l’hormone de croissance extractive France-Hypophyse a pu être à l’origine des MCJ observées en France », concluait la magistrate dans son ordonnance de renvoi. De surcroît, toujours selon l’accusation, les risques de contamination par la maladie étaient connus dès 1980, date à laquelle le Pr Luc Montagnier avait estimé qu’« une attention particulière soit portée au danger de transmission de la MCJ » par les hypophyses.Le procès, qui s’est tenu sous une tente dressée dans la salle des pas perdus du Palais de justice en raison du grand nombre de parties civiles, a, en effet, pointé des pratiques suspectes dans la collecte, le conditionnement et la distribution de l’hormone de croissance à 1.698 enfants. Parmi les prévenus, aux côtés du Pr Job, Fernand Dray, un biochimiste de 86 ans aujourd’hui. Professeur de pharmacie à l’Institut Pasteur, il était responsable de l’extraction et de la purification de l’hormone dans son laboratoire. Quatre années d’emprisonnement avec sursis ont également été demandées à son encontre. Contre Marc Mollet, 84 ans, ex-chef du service de la distribution à la Pharmacie centrale des hôpitaux, pour son absence de vigilance : deux ans avec sursis. Une peine d’un an avec sursis a en outre été réclamée contre le Dr Elisabeth Mugnier, 59 ans, ex-coordinatrice de la collecte dans les hôpitaux.
S’agissant des trois derniers prévenus – Henri Cerceau, ancien directeur de la Pharmacie centrale, Jacques Dangoumeau, 73 ans, ex-directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, et le Dr Michèle Gourmelen, 72 ans, médecin prescripteur –, le procureur a demandé la relaxe, estimant que leurs responsabilités n’étaient pas établies. Au grand dam de certaines parties civiles, incrédules.

Quand le Pr Job demandait pardon« Mets ta main sur mon cœur, maman, parce que j’ai peur qu’il ne s’arrête de battre. » A la barre, le 26 mars 2008, la maman de Nicolas Guillemet témoigne des derniers moments partagés avec son fils avant qu’il ne soit emporté, à l’âge de 13 ans, par la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Devant la salle à moitié en larmes, bouleversée par ce premier témoignage, le papa de l’adolescent s’adresse, lui, au professeur Jean-Claude Job, considéré par les parties civiles comme étant l’artisan principal de leur malheur : « Le délai raisonnable pour demander pardon, c’est maintenant », lui dit-il. Sur le banc des prévenus, le vieil homme de 85 ans se lève : « J’ai gardé le souvenir ineffaçable, et qui revient souvent, de Nicolas sur sa chaise devant mon bureau. J’ai toujours, en moi-même, demandé pardon à Dieu. Je demande pardon à M. et Mme Guillemet. » Un pardon que les familles des victimes ont néanmoins du mal à accepter à la veille du jugement : décédé près de quatre mois après la fin du procès, le pédiatre endocrinologue ne sera jamais condamné par la justice humaine. L’action publique à son encontre est désormais éteinte.

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