dimanche 11 janvier 2009

Résurrection - La justice ressuscite le “mort-vivant” de Montpellier


André Poirier aurait certainement nourri l’œuvre de Franz Kafka. Hier, la justice parisienne a rendu vie au retraité montpelliérain, disparu en 1986 et reparu en 2004, mais déclaré administrativement mort.
Le 19 décembre dernier, lors d’une audience peu habituelle devant le tribunal de grande instance de Paris, André Poirier avait été obligé de plaider son existence. Pour la prouver, le septuagénaire avait apporté son album photos le représentant, chronologiquement, jeune homme, ancien légionnaire, heureux papa, opticien, employé de mairie, peintre fier de ses toiles, retraité vieillissant. Quarante ans de souvenirs pour démontrer que le visage successivement immortalisé avait certes subi les outrages du temps mais que la physionomie ne laissait aucune place au doute. Pour définitivement convaincre les magistrats, il avait aussi amené sa fille Nathalie, une sœur, et Jacques, l’ami d’enfance qui était allé jusqu’à conter leurs vacances d’adolescents dans le Cotentin. Le procureur s’était rendu à l’évidence : André Poirier était bien André Poirier, il fallait lui rendre sa vie ! Conforme aux réquisitions, le jugement rendu hier par la chambre civile a annulé celui qui le déclarait « absent », autrement dit mort pour l’administration, depuis l’automne 2007. Concrètement, sa résurrection va lui permettre de percevoir sa retraite, sa pension d’ancien combattant, d’être pris en charge par la Sécurité sociale, lui qui devait intégralement pourvoir aux frais médicaux que justifie son état de santé déficient. Seule la charité des amis et des associations caritatives le maintenait à l’abri de la misère. Ces prochains jours, son avocat, Robert Pignot, entreprendra l’ultime démarche : la suppression, sur le registre de l’état civil, de la mention « décédé ».


Un divorce qui tourne malCette histoire kafkaïenne a débuté en 1986. Après son divorce houleux d’avec sa femme, André prend ses cliques et ses claques, quitte la banlieue parisienne pour s’établir dans l’Hérault et change de métier. Sans laisser d’adresse. Cependant il garde son nom, signe ses peintures qu’il expose, travaille, cotise à la Sécu. Bref, André n’a jamais organisé sa disparation comme d’autres voulant, par exemple, échapper aux créanciers. Lorsque son père décède, le notaire chargé de régler la succession entreprend des recherches, en vain. Sa fille n’est pas plus chanceuse : André demeure introuvable. Un administrateur est désigné. « C’est seulement en 2003 que ma fille, profitant de l’affaire de la canicule, relance les recherches, via la préfecture du Val-d’Oise. Les policiers finissent par me retrouver », confie le disparu à nos confrères de La Dépêche. André renoue les liens familiaux mais ne songe pas à se manifester auprès de l’administrateur. Lequel, passé le délai légal de vingt ans sans nouvelles, lance la procédure de déclaration d’absence, donc de mort présumée. Elle aboutit au jugement d’octobre 2007 qui raye André Poirier de la liste des vivants. Dès lors, comme dans l’œuvre de Kafka, la bureaucratie impersonnelle oppose à chacune des démarches du septuagénaire l’implacable preuve de son décès. Une fois la décision d’hier officiellement publiée, dans les trois ou quatre semaines à venir, l’administration devrait réintégrer André dans ses ordinateurs et verser les arriérés qui lui sont dus.

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